Vendredi dernier, j’étais à Lyon pour le travail. Un aller-retour Lorient-Lyon dans la journée, même pas peur. Sauf quand Air France et la météo s’en mêlent.
Je mes suis donc levée à 5h15 vendredi matin pour prendre un avion pour Paris puis un autre pour Lyon vu que le Lorient-Lyon habituel avait été annulé. ça plus un bon retard, ça nous a fait presque 4 heures pour aller à Lyon au lieu d’1h30. Si l’on ajoute la fatigue due au boulot du jour, le soir, j’avais hâte d’arriver à Lorient, d’aller chercher Monsieur Mon Mari qui arrivait une heure plus tard à la gare et de me glisser sous la couette pour une longue nuit sans réveil vu que les pin’s étaient sagement chez Mamyvonne.
C’est dans cet état d’esprit et avec une fatigue intense que je me pointe largement en avance à l’aéroport de Lyon. J’ai le temps de boulotter un bon sandwich au thon, un capuccino froid, un paquet de bonbons à la pomme, d’acheter ELLE en pestant parce que Grazzia n’est pas en kiosque et de me diriger tranquillement vers ma salle d’embarquement en étant juste à l’heure. Au comptoir pourtant, ça téléphone, ça s’agite, ça se parle dans le talkie… L’heure de l’embarquement est allègrement dépassée et nous sommes toujours à attendre. On nous annonce que, vu la météo au-dessus de Lorient, nous allons très certainement être déroutés sur Nantes. J’en conclus donc qu’après 1 heure 15 de vol, je vais me taper 2 heures de car merdique et arriver à l’aéroport de Lorient à 23h30, au mieux. Et qu’ensuite, j’ai encore 20 minutes de route à faire. Chouette.
Je suis fatiguée, je sens le graillon après un après-midi passé dans un restaurant, mon pansement au doigt (j’ai été attaquée par un rasoir la veille au soir) est tout plein de sang et de poussière, mon maquillage rappelle les grandes heures de Pandi-Panda, mes ongles non vernis sont en deuil, je suis en pleine digestion de mon sandwich au thon et j’ai encore faim pourtant, bref, j’ai 150 ans et je veux rentrer chez moi.
On nous fait embarquer en nous répétant bien qu’on nous dira en vol si on se pose à Nantes mais qu’on verra au dernier moment. Je suis en 3F, à l’avant de l’avion. Pourquoi y a-t-il un mec à ma place près du hublot alors ? C’est ma place, j’ai 150 ans, je veux MA place. « Excusez-moi, vous êtes à ma place » dit la porte de prison que je suis au joli jeune homme assis près de MON hublot. Le jeune homme, très grand, très mince, très bien habillé se déplace. « Merci ». Je m’installe avec tout mon bordel, sort un peu de boulot à relire. Pour excuser mon ton vilain du début et montrer que je ne suis pas qu’une vieille femme de 33 ans qui sent le graillon, je glisse à mon voisin sur le ton de la plaisanterie : « J’espère qu’ils vont nous donner un panier repas s’ils nous font atterrir à Nantes » (oui, je ne pense souvent qu’à manger, je sais). « Ah, je ne sais pas » me dit-il, sérieux. « Non, parce que les deux heures de car le ventre vide, ça va pas le faire » que j’ajoute, en mode ogresse avant de me replonger dans mon ELLE.
Sur ce, un passager vient nous voir « excusez-moi, je peux avoir un autographe ? ». Prête à dédicacer mon livre, je me tourne mais cette demande s’adresse à mon voisin (bon, là, je déconne, j’ai bien compris que la demande ne s’adressait pas à moi). Mon voisin signe un autographe et je me dis qu’effectivement, ce joli jeune homme me rappelle quelqu’un. Enervée que j’étais, je ne l’ai pas bien regardé à mon arrivée… Il est vraiment très beau, jeune, ça doit être un chanteur de la Star Ac… Mais qui ? Je me décide à tourner la tête et à la regarder un peu plus en détail. Oh punaise, je le reconnais tout de suite… C’est Yoann Gourcuff. Lyon-Lorient, logique, tellement logique… Voilà, c’est tout moi et mon glamour, je voyage à côté de l’un des plus beaux mecs de France et je sens le graillon et le thon. Contrairement à ma tweet-list féminine qui s’enflamme littéralement à cette annonce, cela ne me bouleverse pas une fois la surprise passée. Pour tout vous dire, les sportifs de haut-niveau, j’en ai fréquenté des centaines à l’INSEP (certains un peu plus assidument que d’autres, hum) quand j’y étudiais, j’ai interviewé Jean Galfione sans me faire pipi dessus, Ladji Doucouré m’accordait ses premiers mots à chaque fin de course quand j’étais là et j’étais sur le bord du terrain au Stade de France le 12 juillet 1998 (je vous raconterais peut-être un jour) donc voilà, les célébrités sportives, ça ne m’impressionne pas. Heureusement sinon j’aurais eu du mal à faire mon boulot de journaliste sportive pendant 10 ans (oui, je fais un mini-coming out).
Le voyage se déroule. Je lis ELLE, mon voisin regarde une série sur son IPad. Nous échangeons trois mots polis. On nous annonce que nous allons finalement aller voir à Lorient comment est la météo. Youpi ! Je suis à deux doigts d’en claquer 5 à Yoann, aussi content que moi. Nous volons une première fois durant 20 minutes au-dessus de Lorient pour voir si le brouillard se lève. Il ne se lève pas (le con). Nous volons une deuxième fois durant 20 minutes. J’ai la gerbe à force avec cet avion qui tourne et qui tourne. Si je dois vomir sur les genoux de Yoann Gourcuff, je ne suis pas sûre de tweeter l’info… J’annonce à mon voisin « si on doit aller à Nantes, je vous préviens, je pleure ». Je m’épanche un peu sur ma vie, lui raconte un truc perso. Il rit. Nous entendons » nous allons essayer de nous poser ». Nous sommes contents, Yoann et moi.
Nous descendons, nous descendons. Par le hublot, on ne voit qu’un épais brouillard. Je me tourne vers Yoann et nous échangeons des paroles et des regards inquiets… La descente continue, toujours en plein brouillard. « Faudrait pas qu’on meurt, quand même » me dit mon nouveau meilleur ami pour sa première intervention spontanée depuis le début de notre relation intense. Celui à côté de qui je suis peut-être en train de vivre mes dernières minutes. Dans l’avion, la tension est palpable. Plus personne ne parle à part moi parce que quand je suis stressée je parle. Et je remarque que Yoan aussi. « C’est un truc de ouf », « c’est de la folie »… Voilà nos échanges… On ne voit toujours rien à part le brouillard. Je commence sérieusement à baliser : « je suis pas du genre à avoir peur en avion mais là, je suis limite ». Yoann approuve. Il doit être déçu. Il passe ses dernières minutes à côté d’une mamie de 33 ans qui pue la graille. Il aurait mérité mieux. Une jeunette au moins. Une qui sent le frais et dont le brushing ne date pas de la veille au soir. Je me dis que si je dois mourir, demain dans le Télégramme et dans Ouest France, on ne parlera pas de « Marjolaine, mère de famille, auteur de guides pratiques, blogueuse à l’humour unique » mais de « Yoann, prodige du foot français parti avant d’avoir pu concrétiser tous les espoirs mis en lui ». Les boules. J’aurais peut-être le droit à une ligne avec une ptite photo. J’espère qu’ils prendront celle que j’ai donnée à mon éditeur, je l’aime bien celle-là.
Au moment où j’aperçois enfin la lumière, notre avion tape violemment le sol et freine puissance 1000. On va mourir. Je suis obligée de me repousser avec mes pieds pour ne pas partir en avant. On va mourir. Dans le feu de l’action, j’attrape la main de Yoan Gourcuff qui traine juste à côté de la mienne sur l’accoudoir. J’aurais été à côté de Sim, j’aurais fait pareil. juste besoin d’avoir un contact physique, de partager cette frousse intense, de me raccrocher à quelqu’un avant de mourir. Gentleman ou rassuré aussi par mon contact, Yoann a la délicatesse de ne pas envoyer bouler ma mimine (normal, on va mourir). L’avion finit par ralentir… Ouf, on est sauvé. On ne va pas mourir. Je lâche la main de Yoan, tout l’avion appla
udit, nous y compris. Je glisse un petit « pardon », gênée. Il me rend un petit sourire. Il a été bien élevé, ce jeune homme. Nous échangeons encore deux ou trois banalités après un bon rire nerveux. Les portes de l’avion s’ouvrent, il se lève, il me laisse passer devant lui et je file vers mon destin (ou plutôt la caisse automatique du parking pour arriver avant les autres) sans avoir le temps de lui dire au-revoir, malpolie que je suis.
Quelques minutes plus tard, je retrouvais MMM aussi fatigué que moi. Il n’a même pas remarqué que j’étais puante et affreuse. Ou en tout cas, il n’a rien dit. Il a ri de ma mésaventure en me regardant, bien content que je sois là, devant lui.. C’est beau, l’amour et le football aussi, c’est beau. Longue vie à Yoann Gourcuff. Et à Marjoliemaman.
PS : tout ce qui est consigné ici est la pure vérité. J’attends la version de Yoann dans l’Equipe.