Cette impression étrange de terminer une randonnée après avoir marché pieds nus sur de la lave en fusion durant de longs jours. Cette impression épuisante d’avoir nagé à contre-courant pendant 5 mois. Cette sensation de corps fourbu, d’esprit aspiré. Ce sentiment perturbant d’avoir son cerveau en décalage constant. Cette vision bizarre du monde qui semble aller au ralenti alors que je me regarde vivre en accéléré. Cette envie d’y croire en regardant devant moi pour espérer que le plus dur est derrière. Cette évidence qui me dit que je vois la lumière au bout du tunnel (ou est-ce la lumière d’un train que je vais me prendre en pleine face comme me le suggérait Marie ? – mais je la pardonne parce que ce billet, c’est tellement ma vie aussi).
Kouign Amann nous a fait vivre l’enfer niveau sommeil, Fleur de Sel a pris le relais de manière un poil plus light mais Petite Gavotte nous a gratifié du pire du pire. Environ 6 semaines avant qu’elle s’endorme ailleurs que dans mes bras la journée, des pleurs durant des nuits entières (oui, des nuits entières ça existe, avec capitulation en général vers 2h, 4h30 ou 7h du matin parfois…) Des endormissements difficiles, des réveils en hurlant… Des nuits sans sommeil pendant si longtemps. Des nuits avec des réveils toutes les 20 minutes, à croire que les trois enfants faisaient un planning le soir au coucher pour prendre des relais parfaits.
L’entendre et la voir pleurer autant a été un vrai calvaire pour moi. Elle pleurait au lit, elle pleurait dans mes bras, elle pleurait sans que je comprenne pourquoi et puis il y a eu une accalmie. Et puis les vacances ont à nouveau tout déréglé et le cauchermar a recommencé. Elle a hurlé et hurlé encore comme si une colère toute puissante prenait possession de ses 5 kilos et des brouettes. Elle se raidissait dès que je l’approchais de son lit. Je me suis tapé la tête contre les murs, littéralement, car je ne supportais plus ses pleurs. J’aurais pu me mordre au sang de frustration. Et pourtant, j’étais la seule à savoir la calmer un peu. Mais du coup, impossible de passer le relais. Je me suis demandé à nouveau pourquoi, pourquoi, on a fait quoi pour mériter ça ? Je me suis sentie la pire mère du monde, ou la plus inutile en tout cas. Je me suis rendue folle toute seule à chercher des raisons.
Les pleurs d’un bébé peuvent rendre fou, vraiment. Je me suis presque inquiétée pour ma santé mentale. Quand est-ce que j’allais vraiment craquer et tout envoyer balader ? Quelle dose de fatigue et de stress pouvais-je encore encaisser ? C’était une question de jours. Ou pas. Et puis à me voir si folle, si obsédée par ce sommeil, j’ai fait ce que je sais faire de mieux. En rire. Parce que si j’y réfléchissais un peu, je savais bien que ça ne durerait pas des années. Parce que dans mes nuits sans sommeil, j’avais un allié de choc, mon mari. Soit présent physiquement, soit par téléphone. Parce que cette petite fille était ce qu’il y avait de plus charmant sur terre, qu’elle souriait toute la journée et que je ne pouvais pas lui en vouloir plus de 30 secondes. Parce que moi aussi j’ai été un bébé qui a pleuré pendant 6 mois et que ma mère a sûrement eu elle aussi envie de me jeter par la fenêtre juste pour avoir le silence quelques secondes, juste pour que ça s’arrête. Parce que ce blog est un exutoire formidable. Parce que si mes nuits ressemblaient à des cauchemars, les jours que je vis font partie des plus beaux.
Mais aussi parce que je pense que je suis en béton armé et que même si je me suis demandé si je ne faisais pas une dépression post-partum au milieu des nuits les plus dures, j’ai traversé des choses bien pires et je m’en suis souvenue. Je n’ai pas voulu me laisser couler parce que si j’avais réussi à ne pas sombrer avant, j’ai décidé que ce n’était pas mes enfants qui allaient réussir à me pousser dans le gouffre, surtout pas. ça aurait été si doux pourtant. M’effondrer et laisser quelqu’un prendre le relais. M’enrouler sous la couette en attendant que ça passe mais voilà, je suis restée debout, un peu folle mais debout. A trop crier, à perdre patience, à faire des trucs bizarres mais debout. Chaque matin, j’ai enfilé mon jean trop petit, j’ai préparé mes enfants et j’ai enfilé mon plus beau sourire. J’ai pris quelques cm de recul, j’ai ouvert mes oreilles au pédiatre qui me disait « les pleurs de décharge c’est normal, il faut l’accompagner, ne pas la laisser pleurer, il faut la rassurer avec vos paroles, vos gestes mais aussi en étant ferme. La fermeté est aussi un moyen de rassurer ». Je savais tout ça mais je ne savais plus comment faire. Et MMM a joué son rôle de papa à la perfection, il fallait juste lui laisser un peu de place.
Depuis 4 jours, Petite Gavotte ne mange plus la nuit et s’endort systématiquement sans le sein. Depuis 2 jours, elle dort de minuit à 6h. Sans pleurs, juste quelques grognements. Je sais qu’avec les bébés, rien n’est acquis et pourtant, nous avons passé un cap, je le sens intimement. Les soirées sont calmes, Petite Gavotte s’endort sereinement et la boule que j’avais coincée sous le plexus solaire est en train de se dégonfler.
Regarder mes enfants former cette fratrie est un truc archi-puissant qui surpasse tout. Crevant mais fabuleux. Je n’échangerais ma place pour rien au monde. Je n’échangerais pas non plus une seule minute nocturne passée près de ma Petite Gavotte hurlante contre les plus belles minutes de la vie de quelqu’un d’autre.
Avec eux, avec elles, je suis à ma place. Je suis le béton armé sur lequel ils pourront toujours s’appuyer.
PS : « en béton armé » est aussi une chanson de mon ami le Paresseux.
PS2 : après relecture, je réalise bien que ça part dans tous les sens tout ça mais j’accuse encore une très grande fatigue donc on va pas chipoter.
PS3 : la photo est un souvenir de notre week-end dans la Sarthe, je suis tombée amoureuse de ce sol.