La dernière à quitter la fête

Alors que j’étais en couple avec MMM depuis 3 mois, il m’a proposé de partir en Bretagne – nous habitions à l’époque tous les deux à Paris – pour me présenter sa famille maternelle à l’occasion des 20 ans de son frère (devenu ensuite Grand-Beau-Frère). Lors d’une soirée d’anthologie dans un restaurant chic, j’ai donc rencontré ma belle-famille et sa doyenne : Mamie Odile, la grand-mère de MMM, la maman de sa maman (aka Mamyvonne).

Mamie Odile, cette petite dame (par la taille) à la voix fluette et la décontraction chaleureuse m’a tout de suite plu. Elle a mis du temps à se souvenir de mon prénom… J’étais successivement Marlène ou, Marijo, rarement Marjolaine. Ça m’était égal, je savais que cela ne voulait pas dire grand chose. Ma mamie Elise chérie faisait bien l’inventaire des prénoms de toutes ses petites-filles avant de trouver le mien et pourtant elle m’aimait à la folie. Nous nous sommes toute de suite très bien entendues et après qu’elle m’ait raconté une flopée de blagues grivoises, je n’ai pas pu la vouvoyer très longtemps.

Mamie Odile me faisait souvent un compliment attentionné sur ma tenue ou ma coiffure, me trouvant toujours jolie et puis elle embrayait avec une blague salace (souvent très imagée). C’était notre petit rituel. Mamie Odile avait travaillé dans le café de ses parents avant d’avoir sa propre affaire à Rostrenen, alors j’imagine qu’elle avait dû en raconter des histoires de zizis pas propres (les histoires, pas les zizis) pour mettre à distance les prétendants indésirables. Un jour, je lui ai demandé si je pouvais l’appeler « Mamie », parce que même si j’en avais déjà une que j’aimais fort, je me sentais comme l’un de ses petits-enfants. Elle avait ri, acceptant ma requête comme une évidence. Et c’était devenue tout naturellement, ma deuxième Mamie.

À la naissance de KA, elle a fait le voyage de la Bretagne jusqu’à Paris pour rencontrer son premier arrière-petit-fils. Avec Mamyvonne et Mamily, elle nous avait préparé un bon repas pour notre sortie de la maternité et avait briqué l’appartement. Elle était comme ça, notre Mamie. Elle se dépensait sans compter pour les autres et jusqu’au bout, je l’ai vue débarrasser la table lors de nos réunions de famille.

Alors que KA avait seulement quelques mois et gesticulait sur le tapis d’éveil dans le salon de Mamyvonne, elle s’était mise à quatre pattes au dessus de lui en faisant la vache. MEUUUUUUH… De magnifiques meuglements qui rendaient hilare le bébé hyperactif qu’il était alors. Je crois que toutes les personnes qui ont assisté à ce moment s’en rappellent… Et elle a recommencé à meugler chaque fois qu’elle le voyait. On l’a alors baptisée Mamie Meuh et c’est resté.

Quand Fleur de Sel est née bien trop en avance, nous avons baptisé notre cadette du même prénom (on va dire pour le besoin d’anonymat que c’est « Fleur de Sel ») que la soeur chérie de Mamie Meuh. Et je crois que ça lui a fait infiniment plaisir d’avoir de nouveau une Fleur de Sel dans sa vie.

Quand nous avons fêté nos 40 ans avec la famille et les amis, Mamie, qui avait 94 ans, a époustouflé tout le monde en poussant la chansonnette (elle adorait Aznavour) et en enflammant le dance floor, allant jusqu’à faire un grand écart (certains en parlent encore, incrédules !) avant de râler parce qu’il lui fallait rentrer à minuit et demi avec Mamyvonne et les Pin’s. Elle aurait bien aimé rester…

Ces derniers temps, j’essayais d’aller manger chez elle certains midis. Je cuisinais des petites choses simples pour nous deux et elle évoquait sa jeunesse. Elle m’a raconté l’auberge où elle faisait les lits avec ses soeurs (et la fois où elles ont joué avec les menottes d’un gendarme sans avoir les clefs…), les garçons qui la courtisaient et se prenaient des vents, la pension aux Ursulines à 9 ans, la vie pas toute rose de sa soeur « Fleur de Sel », les éclats de rire et de vie de Milo, son cher mari… Elle s’inquiétait pour mes yeux alors qu’elle ne voyait plus grand chose. Elle disait « oh, je n’ai pas à me plaindre » malgré un récent cambriolage en pleine journée qui l’avait pourtant bien bousculée. J’ai eu tellement de chance d’avoir ces petits moments privilégiés en sa compagnie.

J’ai mille autres anecdotes à vous raconter sur elle, comme ces petits bonbons à la menthe qu’elle nous donnait à chaque fois que l’on partait de chez elle ou ses gaufrettes à la vanille que l’on ne dégustait en lisant les phrase écrites dessus, mais ce que je retiens plus que tout, c’est sa générosité et sa dignité. Elle ne se plaignait jamais.

Elle habitait encore chez elle à presque 99 ans et à part sa vue (satanée DMLA), elle était en pleine forme, au point de faire chaque matin 6 pompes. Oh certes, elle nous avait causé une frayeur en 2021 en passant plusieurs semaines à l’hôpital, mais elle en était sortie en nous disant qu’elle était repartie pour un tour. Ces derniers temps, elle me disait qu’elle se demandait ce qu’elle faisait encore là alors que ses parents, son frère, ses 5 soeurs (elle étaient la plus jeunes) et même certains de ses neveux et nièces étaient morts.Même ses plus anciennes copines lui avaient fait faux bond. Elle était la dernière sur la piste de danse.

J’ai eu l’honneur de fréquenter Mamie Odile durant 22 ans et je dois vous avouer que je ne l’ai pas vue vieillir. En toute honnêteté, sa mort nous a cueillis par surprise. On la pensait immortelle (c’est sûrement pour cela qu’il y a eu tant de larmes à son enterrement). Elle est partie en douceur, sans prévenir, sans se plaindre, la nuit de Noël. Elle a dû penser que cela serait moins dur pour nous si nous étions tous ensemble ? On aurait quand même bien aimé partager ce dernier repas de Noël avec elle. Mamie, il y avait des coquilles Saint-Jacques, tu les aimais tant, je t’aurais donné les miennes avec plaisir.

Je termine avec cette anecdote qui montre bien à quel point Mamie Odile nous a transmis l’essentiel. À la fin de la cérémonie à l’église, alors que nous étions Mamyvonne, Popope, Grand-Beau-Frère, MMM, les Pin’s et moi, réunis autour du cercueil, notre chère Petite Gavotte a sorti de la poche de son gilet les bonbons à la menthe de Mamie (elle avait demandé à hériter de la boîte) et en a distribué un à chacun d’entre-nous (elle avait prévu le coup en prenant pile le bon nombre de bonbons), déclenchant surprise et attendrissement. Nos larmes se sont transformées en rires de gratitude et de joie devant ce geste transmis par une arrière-grand-mère à son arrière-petite-fille. Le messieurs des pompes funèbres ont assisté à la scène avec un sourire et ont coincé les papiers de bonbon verts que l’on avait déposés sur le cercueil sous la plaque où figurait son nom, à côté du bouquet de romarin que je lui avait cueilli. Elle aurait tellement aimé cette histoire, notre Mamie Meuh…

Merci Mamie, de m’avoir accueillie parmi les tiens, de m’avoir transmis tes recettes (dont celle de ton délicieux far qui est sur le blog depuis 2008),  et d’avoir tant aimé ton petit-fils, mon mari, tout en lui inculquant le respect. C’est notamment grâce à toi qu’il est devenu cet homme que j’aime tant. Tu nous manques très fort, on parle de toi tous les jours. J’espère que tu valses avec Milo et qu’Aznavour est venu te saluer.

PS : la photos date de 2004… Mamie était passée à Paris avec Mamyvonne et Popope et en avait profité pour venir nous voir à la télévision où nous travaillions à l’époque. Elle était venue faire l’andouille avec moi devant la caméra alors que j’enregistrais les plateaux de l’émission de sports de que je présentais.