À notre arrivée au Crapaud Sonneur pour la retraite écriture et yoga, mon amie Valérie, la propriétaire des lieux, nous a demandé de la prévenir si nous remarquions une activité inhabituelle près des ruches car l’une d’elles montrait tous les signes d’un essaimage prochain. En effet, quand l’ancienne reine décide de quitter la ruche pour laisser sa place à la jeune reine, elle quitte les lieux avec la moitié de la colonie qui s’installe brièvement à quelques mètres avant de repartir ensuite plus loin. Il est donc important de repérer la première étape de l’essaimage si l’on veut récupérer ce petit monde et l’installer dans une autre ruche.
À chaque fois que je passais près des ruches durant les trois jours de retraite, je jetais un coup d’oeil, mais il ne se passait absolument rien.
Le dernier jour, alors que la retraite vient de s’achever et que la plupart des stagiaires sont en voiture direction la gare, nous décidons avec Magali (qui est aussi une lectrice du blog) de faire un tour pour découvrir les endroits que nous n’avions pas eu le temps d’explorer sur le site. Pas le temps d’aller bien loin, nous croisons Valérie, toute joyeuse, qui va s’équiper car les abeilles sont de sortie et volent au-dessus de la ruche. Elle nous demande de les surveiller pour voir où elles vont, ce que nous faisons avec fébrilité et attention tant le bruit est impressionnant quand on se rapproche de la colonie qui vole. Effectivement, les abeilles ne vont pas loin… Nous les voyons s’accrocher à des ronces de l’autre côté du barbelé dans le champ du voisin.
Je dois dire que je suis déjà soulagée d’avoir mené cette mission à bien, car je me rends compte de la préciosité que représentent ces abeilles pour Val. Quand elle revient toute équipée, elle observe l’installation de l’essaim pour envisager la manière de le récupérer.
Sa joie et sa passion sont communicatives, je suis excitée comme une puce de ce que la nature nous permet d’observer… Alors, quand Val repart chercher le matériel, je lui propose mon aide qu’elle accepte dans la seconde. À cet instant, je n’ai aucun doute sur mes capacités. Je vais accompagner Val et on va récupérer cette colonie alors que je n’ai jamais approché une ruche de ma vie. Normal.
Je m’équipe donc avec un haut d’apicultrice (il n’y a qu’une combi intégrale qu’a déjà enfilé Val) que je coince dans mon collant de yoga, j’enfile des gants, des baskets et des grosses chaussettes, en faisant attention à ne rien laisser dépasser. Val me rassure : les abeilles, préparées à cet événement, sont gorgées de miel et ne sont pas du tout agressives dans ces moments-là. Je n’ai aucune inquiétude, pas de peur parasite, pas de mental qui galope à écrire un scénario catastrophe.
Dans une brouette, nous chargeons une ruchette (une petite ruche) avec différents cadres, un sécateur, un enfumoir… qu’il va falloir acheminer jusqu’à nos abeilles et passer sous le barbelé… Un peu acrobatique, mais il en faut plus pour nous arrêter !
Une fois près des abeilles, je me sens très émue. Honorée de pouvoir les voir de si près en train de réaliser ce grand voyage.
J’écoute et fait exactement tout ce que me dit Val. Je place la ruchette et la maintiens fermement pendant qu’elle coupe et secoue l’essaim au-dessus de ma tête. C’est incroyable comme sensation, j’ai l’impression d’être au coeur d’une ruche, une abeille parmi les abeilles tant leur bourdonnement semble être le chant d’une seule voix.
Cliquez pour voir la vidéo de ce moment.
Je me sens zen et me surprends à me demander pourquoi je n’ai pas peur. C’est simple, je suis présente à ce qu’il se passe, je vois que les abeilles – même si elles sont près de 30000 – ne sont pas agressives, que je ne risque rien, que mon calme est le garant de la bonne continuation de cette situation. Tranquillement, je passe les cadres à l’apicultrice en chef qui les installe et, quand je me fais piquer au genou parce que je bouge pour attraper les cadres plus éloignés, je constate simplement : « ah, j’ai été piquée ».
Une fois cette première étape accomplie, il faut croiser les doigts pour que les abeilles ne déménagent pas dans la foulée…
Alors que la nuit va tomber quelques heures plus tard, nous retournons récupérer la ruchette pour déménager les cadres dans la ruche définitive. Là encore, l’expérience est incroyable. Les abeilles ne sont pas parties et se sont agglutinées en grappes sur les cadres où il y avait déjà quelques alvéoles. Nous déplaçons chaque cadre dans la grande ruche, avec célérité et précaution car ils sont bien lourds. Au début, les abeilles semblent désorientées par ce grand mouvement, et puis, leur bourdonnement s’apaise et se modifie. Certaines battent le rappel, Val me montre leur manière spécifique de battre des ailes avec les « fesses » en l’air. Quel privilège de pouvoir vivre ça d’aussi près, de sentir le changement de vibration quand cela arrive, de constater que les abeilles égarées retrouvent le chemin… Val s’absente quelques minutes pendant que je tiens un bout de bois entre la ruchette et la grande ruche pour leur faire un pont, j’en profite pour leur chuchoter un petit mantra.
Une fois l’opération terminée, Val baptise cette ruche « 1er mai » et il n’y a plus qu’à espérer que les abeilles vont apprécier le coin et y rester. Quelques semaines plus tard, c’est officiel, elles sont toujours là ! Malheureusement, la reine semble être morte… Valérie va essayer d’introduire une nouvelle reine, on croise les doigts depuis la Bretagne pour que la colonie se remette en ordre de marche.
Cette expérience a été pour moi comme un cadeau du ciel que je n’attendais pas. Le timing était en plus absolument parfait puisque les abeilles ont eu la gentillesse d’attendre la fin de la retraite (la première photo de l’essaimage est horodatée à 14h16 alors que le retraite terminait officiellement à 14h). Cela m’a permis de constater que je n’étais plus dans la réaction, ou tout du moins, pas autant qu’avant. Je ne réagis plus aux choses de manière compulsive, j’ai suffisamment d’espace libre en moi pour m’interroger sur ce qui est en train de s’opérer avant de rentrer dans la réaction systématique. Je m’en rends compte également avec le surf et la manière que j’ai d’appréhender les vagues malgré une peur panique ancrée depuis des décennies. Si vous saviez comme j’apprécie de pouvoir traverser les choses ainsi après presque tout une vie de réactions incontrôlées.
Mon coeur est plein de gratitude envers Valérie qui m’a fait confiance et qui a su si bien partager sa joie d’apicultrice avec moi, envers les abeilles qui m’ont laissée être le témoin de leur grande aventure et envers le Crapaud Sonneur, ce lieu qui préserve si bien la faune et la flore.
Merci aussi à Greg et Maguelone. Le premier pour avoir repéré l’essaimage, la deuxième pour avoir pris des photos et des vidéos de ce moment.
PS : Vous me connaissez, j’ai tendance à avoir des lubies… Je l’avoue, j’aurais tout à fait pu me prendre de passion pour l’apiculture et m’y mettre en amatrice. Simplement, la piqûre au genou m’a confirmé quelque chose dont je me doutais : je suis allergique au venin des abeilles, donc voilà , je n’épouserai pas cette carrière et je chérirai d’autant plus cette expérience qu’elle était unique.
13 commentaires
Oh quelle jolie histoire et en plus si bien racontée, on s’y croirait. Du positif en ces temps moroses ça fait du bien. Bonne journée la Marjoliefamily!
Merci Bénédicte ! Elle était écrite depuis quelques temps, je n’avais pas pris le temps de chercher les photos !
Wahou … !
Pour avoir vu un essaim d’abeilles se mettre en grappe sur un branche d’arbre (près de ma première école, heureusement le directeur savait quoi faire), je confirme que le bruit est impressionnant 😉
Bises et belle journée
C’est un tel privilège d’y assister !
Merci pour cette histoire touchante et émouvante comme tu sais si bien les raconter.
Merci Delphine.
Quelle incroyable expérience !! j’aurais aimé voir ça.
Très belle journée à toute la famille
Merci Joëlle, bonne fin de semaine à toi.
Très jolie histoire ! Et je me retrouve beaucoup dans ton cheminement vers la sortie de ce mode de fonctionnement réactif dans lequel la plupart d’entre nous opérons 99% du temps. J’y travaille depuis pas mal de temps déjà et ces moments de grâce où l’on arrive à être pleinement présents, à entrer dans une dynamique de réponse et non de réaction, sont à chérir et à savourer pleinement !
C’est effectivement un vrai travail, une démarche qui implique de se pencher sur notre mode de fonctionnement, mais quelle libération quand on parvient à s’en défaire (la plupart du temps).
Bravo pour ce beau moment et bravo et merci de nous l’avoir fait partager !
Les abeilles sont des insectes merveilleux et elles t’ont élu Reine d’un jour!
Un grand merci pour ce beau récit!
Un voisin de notre ancienne maison avait des ruches. Les essaims qui s’envolaient faisaient effectivement un bruit impressionnant. Un jour, un essaim est venu se fixer dans notre haie. Le voisin a tapé sur le haut avec un bâton pour le faire tomber dans un panier, qu’il a retourné. Et il est venu récupérer son essaim à la nuit tombante.