Ce que je garderai de toi

Il y a ton sourire caché derrière ta barbe et tes yeux tristes derrière tes lunettes. Ta voix si douce parfois et si déterminée. Ton grand front dont mon fils a hérité. Ta myopie que tu m’as transmise.

Je garde la sensation de ta main moite qui pressait maladroitement la mienne quand on marchait ensemble pour me dire que tu étais heureux. Et ton regard joyeux dans ces moments-là.

Il y a tes failles que je n’ai pas voulu faire miennes. Ta patience hors norme avec moi alors que tu n’avais aucune patience avec personne, jamais. Ma première compétition à 6 ans où j’étais sidérée de peur et où grâce à toi, je suis montée sur le podium. La confiance que tu mettais en moi et qui me construit aujourd’hui encore. L’amour tout simplement que tu me portais inconditionnellement.

Les valeurs qui tu m’as transmises que tu as parfois perdues en chemin. L’incroyable indépendance que j’ai parce que c’était le but de ton éducation, nous rendre indépendants et libres mon frère et moi.

Il y a en moi cet amour de l’écriture qui me vient de toi, on l’a toujours su. Cette manière de ne dire bien que par écrit ce que l’on ressent vraiment. Il y a la fierté d’être tous les deux des auteurs publiés. Auteurs de père en fille.

Et puis le sport comme un pilier de nos vies.

Je garde les histoires inventées pour nous le soir et nos courses le long du canal de l’Ourcq. Nos voyages silencieux en voiture quand tu me ramenais de la gym ou de la voltige.

Je garde aussi tes absences qui m’ont construite à leur manière.

Je garde aussi ta fierté quand je revenais de compétition, quand j’ai eu mon bac, mon permis, mon école de journalisme, mon premier boulot. Je garde ton émotion quand je me suis mariée et quand mes enfants sont nés. Quand la petite fille qui avait peur de tout a vécu sa vie de femme.

Il y a mon hypersensibilité dont j’ai fait une force alors que tu l’as constamment subie.

Il y a tout ce que j’ai pu te dire la dernière fois que l’on s’est vus. Le câlin qui sentait l’eau de Cologne, ton air las mais heureux et ce repas que je t’ai donné comme je l’avais fait des centaines de fois pour mes enfants.

Je garde tout ça en moi, Papa. Et je vais transmettre le meilleur de cela à mes enfants, je l’espère.

 

Jean Boully, mon papa est décédé hier à l’âge de 71 ans.